Si ces Dames et ces Messieurs veulent bien se donner la peine...

Installez-vous et laissez moi prendre votre manteau...
Une tasse de thé ? Une pomme d'amour ? Rien n'est impossible...

Prenez le temps de lire, d'écouter, prenez le temps de vous arrêter. Rien ne presse. Les secondes s'écoulent en silence.

" Un vivant s'adresse à un vivant, et non pour les siècles des siècles ( comme certains écrivains, point toujours les meilleurs, dans les livres ) mais pour partager quelque chose, un événement, ou une pensée ou une émotion ou un sourire, presque rien souvent et c'est l'essentiel de nos vies, pour partager cette pauvreté que nous sommes, que nous vivons, qui nous fait et nous défait, avant que la mort nous prenne, pour ne pas renoncer, tant que nous respirons et quels que soient les kilomètres qui nous séparent, à la douceur de vivre ensemble, en tout cas en même temps à la douceur de partager et d'aimer. Contemporains de la même éternité, qui est aujourd'hui. Passants dans le même passage qui est le monde. Tourgueniev, sur son lit de mort, voulut écrire une lettre à Tolstoï : " Monsieur, ce fut un grand honneur que d'avoir été votre contemporain. " Tout le monde n'est pas Tolstoï, tout le monde n'est pas Tourgueniev. Pourtant c'est un peu ce que nous voudrions dire, dans nos lettres, et que nous disons en effet, par nos lettres, par le simple fait de les écrire, et quoique nous disions en vérité.(...)
Je t'écris pour te dire que je t'aime, ou que je pense à toi, ou que je me réjouis, oui, d'être ton contemporain, d'habiter le même monde, le même temps, de n'être séparé de toi que par l'espace, point par le cœur, point par la pensée, point par la mort. Partir, c'est mourir un peu. Écrire, c'est vivre davantage.(...)
L'écriture naît de l'impossibilité de la parole, de sa difficulté de ses limites, de son échec. De cela qu'on ne peut dire, ou qu'on n'ose pas, ou qu'on ne sait pas. Cet impossible qu'on porte en soi. Il y a des lettres qui remplacent la parole, comme un ersatz, un substitut. Puis celles qui les dépassent, qui touchent par là au silence. Celles-là ne remplacent rien, et sont irremplaçables. Ce dont on ne peut parler, il faut l'écrire.(...)
La parole ne nous rapproche d'autrui, bien souvent, qu'en nous séparant de nous-mêmes, et ne nous rapproche de l ‘autre que fictivement, qu'en surface ou pour la montre. Dans une lettre, au contraire, on n'atteint autrui qu'en restant au plus près de soi. Mais on l'atteint, du moins cela arrive, et à une profondeur où les paroles n'accèdent que rarement. L'écriture est plus proche du silence, plus proche de la solitude, plus proche de la vérité.
"

[André Comte-Sponville]


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